La référence directe au terme de cartogramme pouvant être controversée, la discussion sur le nommage de cette carte s’est étendue au terme de cartogramme et à celui d’anamorphose qui lui est souvent associé. Conversation proposée par :
Anne-Christine Bronner, CNRS, UMR SAGE, Françoise Bahoken, Université Gustave Eiffel, et Nicolas Lambert, CNRS, UAR RIATE
La discussion s’oriente ainsi sur la question d’une acception contemporaine du terme cartogramme, liée à la représentation d’informations statistiques.

[1] Cartogramme : quelques références historiques

Lorsque l’on parle de “cartogramme”, un certain nombre d’images originales émergent régulièrement et apparaissent dans nos échanges. La définition du cartogramme en tant qu’objet cartographique a pu évoluer depuis sa première apparition en 1875 (Tobler, 1984) et sa mobilisation, en particulier, dans les différentes éditions de l’Album de statistiques graphiques coordonnées par Émile Cheysson, qui lui ont donné un premier sens.

Ce texte fait partie de la série “Réflexions autour du nommage d’une nouvelle carte” initié par les auteurs et contributeurs de l’article initialement publié dans Cybergeo Le cartogramme par points.
La série se décline en 4 billets publiés successivement sur cybergeo conversation :

Billet 1/4 | dès le 26 novembre 2024
› “Sur le nommage d’une nouvelle carte”
Billet 2/4 | dès le 3 décembre 2024
› “Comment nommer cette nouvelle carte ?”
Billet 3/4 | dès le 10 décembre 2024
› “Nommer une carte, d’après la méthode ou d’après l’image ?”
Billet 4/4 | dès le 17 décembre 2024
› “Qu’est-ce qu’un cartogramme ?” (page actuelle)

Le cartogramme y est décrit par Cheysson (1889) comme un type de carte qui associe “la géographie à la statistique et peint le fait à l’emplacement même où il s’est produit”. La méthode mise en œuvre variant selon l’implantation spatiale géométrique (ponctuelle, linéaire ou surfacique), plusieurs familles de cartogrammes sont proposées, respectivement le “cartogramme à foyer diagraphique” (Figure 1) qui combine des diagrammes sur une carte ; le “cartogramme à bandes” pour les “mouvements des transports” selon l’expression de Charles-Joseph Minard (1869) ayant d’ailleurs participé aux Albums ; et le “cartogramme à teintes dégradées” qui deviendra la carte choroplèthe.

Cheysson (1878) complètera cette liste lors de l’exposition universelle de 1900 en évoquant les “Cartogrammes monochromes“, les “Cartogrammes à deux couleurs” ; “les Cartogrammes à deux couleurs avec zone moyenne” ; les “Cartogrammes à courbes de niveau“.

Les formes cartographiques qui s’apparentent aux premières occurrences du cartogramme rectangulaire sont illustrées par les travaux de l’ingénieur français, E. Levasseur (Figure 2), ou par le cartogramme de la population des États-Unis du cartographe américain Erwin Raisz (1934).

À partir du XX^e siècle, le terme fut évoqué soit pour qualifier des cartes statistiques décrivant des taux et rapports en général (Funkhouser l’emploie en 1937 pour des cartes choroplèthes), soit pour qualifier les cartes statistiques en anamorphose (d’après Sara I. Fabrikant et Amy Lobben (2009) qui mentionnent également l’apparition de “cartogrammes circulaires” au début du XX^e siècle pour représenter les résultats des élections allemandes) ou encore soit pour qualifier des cartes statistiques… mais qui n’en seraient pas.

En effet, pour Erwin Raisz et probablement pour d’autres, le cartogramme n’est pas une carte :

“The statistical cartogram is not a map. Although it has roughly the proportions of the country and retains as far as possible the relative locations of the various regions, the cartogram is purely a geometrical design to visualize certain statistical facts and to work out certain problems of distribution” (Raisz, 1934).

“Le cartogramme statistique n’est pas une carte. Bien qu’il présente à peu près les proportions du pays et conserve dans la mesure du possible les positions relatives des différentes régions, le cartogramme est purement un dessin géométrique destiné à visualiser certains faits statistiques et de résoudre certains problèmes de répartition” (Raisz, 1934).

On pourrait également dire que la définition du cartogramme se situe quelque part entre la carte et le diagramme. Le terme cartogramme s’est ensuite éloigné de ces premiers usages, tout en intégrant de nouvelles méthodes cartographiques comme la “rubber map” de Tobler (1973) qui deviendra un type de carte spécifique (voir Figure 3). L’objectif commun de ces nouveaux procédés mathématiques est de faire varier de façon continue la surface des entités en fonction des quantités qui leur sont associées, pour produire des images que l’on pourra trouver également sous l’appellation “anamorphose” en France.

Les deux termes (cartogramme et anamorphose, associés à des qualificatifs comme scalaire ou vectoriel) sont considérés par Anne-Christine Bronner (2023) comme “génériques et interchangeables” (en langue française) dans certains cas, alors même que leur “équivalence est discutable“. Appréhender le cartogramme en le liant systématiquement et exclusivement au “système d’anamorphose” défini par Colette Cauvin (2008), c’est nier le fait qu’il est aussi associé au traitement graphique de données statistiques, qui connaît un renouveau depuis la popularité de la dataviz et qui remobilise les principes de la sémiologie graphique rassemblés par Jacques Bertin (1967).

Comme l’indiquent Sabrina Nusrat et Stephen Kobourov (2016) dans leur récent état de l’art, le “cartogramme” est une figure populaire de la statistique graphique mobilisée dans différents domaines depuis le XIX^e siècle. On le retrouve effectivement dans les champs “de la visualisation, de la cartographie et de la géométrie, et couvre un large éventail de types de cartogrammes” (ibid.).

Plusieurs autrices et auteurs tentent de classer les cartogrammes (Markowska 2019 ; Nusrat et Kobourov, 2016 ; Field, 2017 ; Tobler, 2004). La typologie proposée par le cartographe Kenneth Field propose notamment la classe du “cartogramme graphique“.

[2] Le cartogramme par point : un cartogramme “graphique”

Les cartogrammes se divisent selon Kenneth Field (2017) en cinq familles, selon qu’ils sont : (1) “non contigus” (les entités ne sont plus en contact) ou (2) “contigus” (transformation continue de l’espace), (3) “graphiques” et (4) “quadrillés ” et (5) “topologiques“, car fondés sur la modification des relations spatiales entre entités qui ne sont plus fondées sur une métrique continue, mais sur une métrique discrète (fondée sur le voisinage, cf. contiguïté).
Aujourd’hui, le terme de cartogramme s’étend “de facto à un grand ensemble de procédés (carto)graphiques appliqués aux données localisées […] cartogramme de Dorling, cartogramme discontinu d’Olson, cartogramme vectoriel, distance cartogram, tile cartogram, etc.” (Bronner, 2023).

La majorité des images de cartogrammes visualisent des données associées ou ramenées à des entités géométriques surfaciques. Cela laisse supposer que le terme cartogramme ne s’emploie pas, ou difficilement, aux cartes en implantation spatiale géométrique/géographique linéaire ou ponctuelle, ce qui n’est pas le cas.

Le DotMapCartogram proposé par Soetens & al. (2017) est un semis de points géolocalisés re projeté sur un cartogramme de population (Figure 4) ; l’objectif étant de visualiser des phénomènes de concentration. L’image produite est proche visuellement de la carte par densité de points représentés sur un cartogramme continu de la population, une visualisation que l’on retrouve chez Gastner et al. (2004) pour expliquer le principe d’égale densité.

Le cartogramme (par points) proposé par Françoise Bahoken et Nicolas Lambert diffère ainsi des propositions antérieures en ce sens que la carte est construite sur un fond de carte en implantation spatiale géométrique surfacique (ou ponctuelle ramenée au barycentre des entités), avec un traitement particulier réalisé sur une implantation spatiale graphique ponctuelle, qui la définit comme un “cartogramme par points”. Il participerait donc plutôt du “cartogramme graphique” de Field.

Field (2017) le définit en ce qu’il “ne conserve ni la forme, ni la topologie, ni l’emplacement [des entités géographiques] ; il utilise plutôt des formes géométriques non superposées (par exemple, des cercles ou des carrés) pour représenter la variable cartographiée.“.

C’est aussi ce type qui caractérise le cartogramme de Dorling (1996) que l’auteur introduit sous la dénomination de “cartogramme circulaire de la population” (circular population cartogram). En effet, le fait que le terme cartogram ait émergé spontanément chez l’autrice et l’auteur du dot cartogram (traduit par la suite en cartogramme par point) s’explique par la présence d’un algorithme de non-overlapping dans la méthode développée. Une carte sur laquelle on “empêche” la superposition des signes ou figurés en les éloignant, notamment s’il s’agit de cercles, va parfois “hériter” du libellé de cartogramme, en référence au cartogramme circulaire de Dorling[1]. Ainsi, le cartogramme par points prend appui sur une partie de la proposition de Daniel Dorling (1996) dans sa construction. Il reprend aussi le terme de “cartogramme” dans son nommage et découle de la carte en densité de points (Montizon, 1830) – plus connue sous le terme anglais de “dotmap“.

Nota bene : cartogramme versus anamorphose

Pour tenter de résumer la discussion actuelle autour de ces deux termes, il est possible d’affirmer que le “cartogramme” étant un objet distinct de celui “d’anamorphose”, les deux termes ne devraient plus être employés indifféremment, y compris en français. Appréhender le cartogramme comme une partie intégrante du système d’anamorphose, c’est nier le fait que dans l’histoire de la cartographie statistique ou dans celle de la visualisation scientifique de données, il semble exister une acception relativement large du terme cartogramme. On observe d’ailleurs aujourd’hui en anglais, la même nuance avec les termes cartogram et anamorphic map, ce qui suppose qu’il n’y a pas tout à fait la même série de méthodes/cartes derrière ces deux appellations.

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[1] Le cartogramme de Dorling dans sa version originale conjugue un principe d’attraction et de répulsion, mais une partie des outils qui proposent cette méthode n’applique que le principe de répulsion (non-overlapping).

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Références mentionnées

Bronner A.-C. (2023), Cartogrammes, anamorphoses : des territoires transformés, in : Cunty C. et Mathian H. (dir), Traitements et cartographie de l’information géographique, ISTE Sciences, Géographie et Démographie/cartographie, p. 231-271.

Cauvin, C., Escobar, F., Serradj, A., Antoni, J.-P. (2008). Cartographie thématique. 4, Des transformations renouvelées, Hermès science : Lavoisier, Paris, France, 198 p.

Cheysson É. (1878). “Les méthodes de statistique graphique à l’exposition universelle de 1878”, Journal de la Société de Statistique de Paris, pp. 323-333, N12, decembre, 1878.

Cheysson É. (1889), Album de statistique graphique, Ministère des travaux publics, Exposition universelle internationale de 1889. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k990638x.r=

Dorling, D. (1996). “Area Cartograms: Their Use and Creation”, in : Concepts and Techniques (CATMOG), 39 p. URL : https://www.dannydorling.org/wp-content/files/dannydorling_publication_id1448.pdf

Fabrikant S. I., Lobben A. (2009), “Introduction: Cognitive issues”, in : geographic information visualization, Cartographica: The International Journal for Geographic Information and Geovisualization 44, 3, 139–143.

Field K. (2017). Cartograms. The Geographic Information Science & Technology Body of
Knowledge (3rd Quarter Edition), John  P. Wilson(eds). doi: 10.22224/gistbok/2017.3.8.

Funkhouser H. (1937), Historical development of the graphical representation of statistical data, Osiris n°3, pp. 269–404.

Gastner M. T., Newman M. E. J. (2004), Diffusion-based method for producing density equalizing maps. In : Proceedings of the National Academy of Sciences, 101(20) 7499-7504.

Minard C.-J. (1869). La statistique. Bibliothèque numérique patrimoniale des ponts et chaussées. URL : https://heritage.ecoledesponts.fr/ark:/12148/bpt6k1290601m.r=minard%20la %20statistique?rk=21459;2

Levasseur E. (1875) La France avec ses colonies, Charles Delagrave, éditeur de la Société de Géographie, Paris, 923 p.

Markowska A. (1830), “Cartograms – classification and terminology”, in : Polish Cartographical Review, 1 novembre 2019, vol. 51, nᵒ 2, pp. 51-65, doi:10.2478/pcr-2019-0005.

Montizon F. A. J. (1830), Carte philosophique figurant la population de la France.

Nusrat S. et Kobourov S. (2016), The State of the Art in Cartograms, Computer graphic forum, ed. Wiley,35, 3, pp. 619-642.

Raisz E. (1934), “The rectangular statistical cartogram”, Geographical  Review, 24, 3., pp. 292–296.

Soetens L., Hahné S., Wallinga J. (2017), “Dot map cartograms for detection of infectious disease outbreaks: An application to Q fever, the Netherlands and Pertussis, Germany”, Euro Surveill, 22(26): pii=30562. DOI: http://dx.doi.org/10.2807/15607917.ES.2017.22.26.30562

Tobler, W.R. (1973), “A Continuous Transformation Useful for Districting”, Annals, New York Academy of Sciences, pp. 215–220.

Tobler R. W (2004), “Thirty five years of computer cartograms”, Annals of the Association of American Geographers, 94, pp. 58–73.

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